Cela n’a pas échappé aux cinéphiles s’intéressant aux
thrillers et films « à enquête » en général, le célèbre livre du
romancier suédois Stieg Larsson Millénnium : Les hommes qui n’aimaient pas
les femmes a bénéficié de deux adaptations cinématographiques, très rapprochées
d’ailleurs : une version suédoise datant de 2009 réalisée par Niels Arden
Oplev (sous le nom Män Som Hatar Kvinnor), qui existe d’ailleurs en version
longue (en réalité les deux premiers épisodes de la série TV) ; et une
version américaine réalisée en 2011 par David Fincher (sous le nom The Girl With the Dragon Tattoo). Gna gna gna adaptation
de bouquin et réadaptation amérloque cépasbien, bref si vous êtes du genre à
dire ça passez votre chemin. Les autres se sont déjà penchés sur au moins un des
deux films, pour un film d’enquête ma foi très passionnant. J’ai longtemps fui
Millénnium malgré les critiques dithyrambiques à son encontre, l’histoire ayant
une réputation d’étouffe-chrétien et le style ne m’intéresse pas à la base.
Inutile de dire que je n’ai jamais lu le bouquin et que je n’ai pas
spécialement l’intention de le faire, on va donc ici s’intéresser uniquement à
ce que le portage sur les écrans a à nous proposer. Comme je le disais, j’ai fui la
version suédoise malgré ses nombreux passages TV, mais j’étais finalement allé
voir la version US au ciné par curiosité, en me disant que l’histoire devrait
être plus accessible car forcément digérée pour le public américain, ce qui n’est
pas forcément le cas d’ailleurs. J’ai finalement été conquis et j’ai ensuite rattrapé
mon retard en visionnant la version suédoise qui n’est pas dénuée d’intérêt.
Voici donc un article un peu particulier qui va évaluer parallèlement les deux
versions pour voir, peut-être, quelle est la meilleure adaptation de Millénnium :
Les hommes qui n’aimaient pas les femmes…
** ALERTE SPOILER : ce qui suit dévoile des éléments-clé
de l’intrigue. Article à réserver à ceux qui ont vu au moins une des deux
versions du film… **
L’histoire : Hormis quelques points qui diffèrent
selon les versions, la base est la même et la voici : Mikael Blomqvist
(Michael Nyqvist/Daniel Craig), journaliste économique de la revue suédoise
Millennium, est condamné pour avoir diffamé un puissant industriel, Hans-Erik
Wennerström. Contraint de se tenir à carreau, il est contacté par Henrik Vanger
(Sven-Bertil Taube/Christopher Plummer), vieux dirigeant de l’influent groupe
Vanger. Ce dernier voudrait que Blomqvist mène une enquête sur la disparition
de sa nièce Harriet dans les années 60, disparition jamais élucidée, alors que
Henrik reçoit tous les ans pour son anniversaire une fleur séchée, cadeau
traditionnel de Harriet dans son enfance… Blomqvist va donc devoir mener l’enquête
au sein d’une famille bien tordue où chacun à ses secrets. Pour son enquête, le
journaliste va bénéficier de l’aide de Lisbeth Salander (Noomi Rapace/Rooney
Mara), une jeune goth-punk asociale mais hackeuse de génie, qui avait enquêté
sur Blomqvist même pour le compte de l’associé de Henrik. Le duo va vite se
retrouver au beau milieu d’une série de meurtres de femmes non élucidés, dont
Harriet avait pris connaissance…
Les différences : Si les deux versions racontent
bien évidemment la même histoire, avec des scènes quasi-identiques parfois, tout
n’est pas pareil à 100% (forcément). On passera sur les quelques détails
futiles variant d’une version à l’autre, mais certains détails concernent le
scénario même et changent plus ou moins radicalement la façon dont l’histoire
se déroule. Passage en revue, en essayant d’être exhaustif :
- Dans la version US, Blomqvist n’écope pas de 3 mois de
prison. Dans la version suédoise on sait qu’il ne compte pas faire appel, ce
qui n’est pas mentionné clairement dans la version US.
- Blomqvist a une fille dans la version US (en tout cas,
c’est la seule version où le personnage est présent), et elle va avoir son
importance…
- En effet, c’est elle qui renseigne Blomqvist sur les
numéros du journal de Harriet qui correspondent aux versets de la bible. Dans
la version suédoise, c’est Lisbeth qui découvre la signification des numéros et
le communique à Blomqvist par mail, ce qui va aboutir à leur prise de contact. Par ailleurs dans la version suédoise Harriett avait entouré un des noms en rouge, ce qui n'est pas le cas dans la version US...
- Du coup, la rencontre entre Blomqvist et Lisbeth est
légèrement différente selon les versions. Dans la version suédoise, Lisbeth
continue à espionner Blomqvist, ce qui ne semble pas être le cas dans la
version US. En revanche, leur prise de contact est quasi-identique (Frode
l’assistant de Henrik Vanger recommande dans les deux cas Lisbeth à Blomqvist,
ce dernier partant à sa rencontre à son appart. Toutefois dans la version US
Blomqvist va se renseigner sur Libseth dans l’entreprise où elle est embauchée).
- Cependant, l’enquête n’avance pas de la même
manière : dans la version US, Blomqvist découvre l’existence des meurtres
avant sa rencontre avec Lisbeth, et se sert de ces meurtres pour convaincre la
hackeuse de l’aider ; dans la version suédoise les deux enquêtent et
traversent le pays pour en découvrir les circonstances ; dans la version
US c’est Lisbeth seule qui s’en charge, avant son déménagement sur l’île, et ce
passage est traité très succinctement.
- Dans la version suédoise, Blomqvist a connu Harriet et
Anita dans sa jeunesse, ce qui n’est pas le cas dans la version US ; il
n’est donc pas spécialement proche des Vanger dans cette dernière version. Dans
la version suédoise, Blomqvist confond du coup Anita et Harriet dans ses
souvenirs, à cause du collier d’ambre.
- Autre différence de taille : dans la version US,
les Vanger ne sont pas au courant que Blomqvist est là pour enquêter sur
Harriet ; dans la version suédoise ils le sont et on trouve même une scène
de réunion des Vanger où ils lui demandent d’arrêter ses recherches, dans la
version US cette scène est remplacée par une simple exaspération d’Isabella
dans le hall de l’hôpital où est soigné Henrik.
- Encore une autre de taille : dans la version
suédoise Anita est donné morte d’un cancer, ce n’est que tout à la fin du film
qu’on apprend qu’elle est vivante, qu’elle vit en Australie et qu’il s’agit en
fait d’Harriet. Dans la version US, c’est totalement différent : Blomqvist
retrouve Anita bien plus tôt à Londres (alors que dans la version suédoise
c’est Lisbeth qui la retrouve) et ce n’est qu’à la fin du film qu’il déduit que
c’est Harriet.
- Dans la version suédoise, Harald est d’abord soupçonné
des meurtres, avant que les recherches de Lisbeth ne l’innocentent et accusent
Gottfried, puis Martin, à la place. Dans la version US Gottfried est
directement identifié comme responsable des meurtres (sauf le dernier). Dans
cette même version Harald, qui n’est jamais soupçonné de quoi que ce soit,
fournit des photos à Blomqvist, qui vont lui permettre d’identifier Martin,
alors que dans la version suédoise le journaliste s’introduit chez Harald.
- Du coup la rencontre finale entre Blomqvist et Martin
change : dans la version suédoise Martin ramène Blomqvist chez lui après
l’avoir trouvé chez Harald ; dans la version US Blomqvist a directement
tenté de s’introduire chez Martin. Notons également que dans la version US,
Martin est identifié à la fois par Blomqvist et Lisbeth grâce à son uniforme
d’étudiant ; dans la version suédoise seule Lisbeth identifie Martin
(grâce à son pull bleu) et Blomqvist ne sait donc pas que Martin est coupable
au moment d’entrer chez lui. Enfin, dans la version US Blomqvist donne
l’« autorisation » à Lisbeth de tuer Martin ; dans la version
suédoise il lui demande si elle n’a rien pu faire pour le sauver…
- Par rapport à Wennerström : dans la version
suédoise on apprend à la fin du film qu’il s’est suicidé, alors que la version
US parle d’un meurtre mafieux. Dans cette dernière, Henrik promet en engageant
Blomqvist qu’il lui donnera des documents contre Wennerström, ce qui n’est pas
le cas dans la version suédoise. Dans les deux cas, c’est Lisbeth qui donne à
Blomqvist des preuves pour accuser à nouveau Wennerström, dans la version US on
apprend qu’elle avait déjà fait des recherches avant d’aider Blomqvist.
- A la fin du film, dans la version US, on voit comment
Lisbeth a soutiré de l’argent à Wennerström. Dans la version suédoise ce
passage est seulement évoqué, mais Blomqvist reconnaît Lisbeth à la fin (sur
les images des caméras), alors que dans la version US il n’a pas connaissance
des magouilles de Lisbeth (elle lui fait croire qu’elle a fait un
« placement »).
- Enfin, dans la version US Lisbeth dit à Blomqvist
qu’elle a essayé de tuer son père, alors que dans la version suédoise elle ne
révèle rien de son passé au journaliste (qui est donné au spectateur par des
flash-backs). Dans la version suédoise, Lisbeth va retrouver sa mère, ce qui
n’est pas le cas dans la version US (elle retrouve son premier tuteur, devenu
un légume, à la place).
Les personnages et acteurs : A casting différents,
acteurs différents et donc approche différente des personnages. Intéressons-nous
déjà aux deux personnages principaux que sont Lisbeth et Blomqvist : j’avoue
ne pas trop être fan de Noomi Rapace dans la version suédoise, elle surjoue
trop son personnage de goth-punk hyper renfermée qui ne sourit jamais, son jeu
est bien trop linéaire pour être crédible. Rooney Mara est plus « naturelle »
et joue bien mieux le côté froid du personnage de Lisbeth, et est du coup plus
convaincante quand il s’agit d’être au bord de péter les plombs (à ce titre, dans
la version US la scène de « vengeance » contre son tuteur est
carrément anthologique). En ce qui concerne Blomqvist, c’est kif-kif dans l’ensemble,
pourtant Michael Nyqvist et Daniel Craig sont bien différents (par exemple, le
second porte des lunettes et fume, ce qui n’est pas le cas du premier) même s’ils
se ressemblent finalement. On peut trouver que Craig à tendance à vouloir trop
se rapprocher du jeu de Nyqvist, notamment lors des passages où il joue un
personnage un peu lourdaud et fragile, ce qui met l’acteur bien loin de ses
rôles de James Bond ou dans Cowboys & Envahisseurs. Pour les autres, ça
dépend des versions. Certains personnages n’ont pas du tout la même importance,
on voit relativement peu Henrik Vanger et l’inspecteur Morell dans la version
US (dans la version suédoise ce dernier est presque à la retraite, alors que
dans la version US il semble déjà l’être…), ce qui est dommage pour Christopher
Plummer (Henrik dans la version US) qui est un peu effacé. Cecilia Vanger n’a
pas du tout le même caractère dans les deux versions. En revanche les deux
acteurs campant à tour de rôle Frode se ressemblent énormément ! Deux
personnages tranchent totalement selon les versions : Martin Vanger et le
tuteur de Lisbeth. En ce qui concerne le premier, Stellan Skarsgård (version
US) est cent fois mieux que le fade Peter Haber de la version suédoise. Pour le
second, celui de la version suédoise est diaboliquement sournois et pervers,
tandis que celui de la version US est juste un porc et un gros con, sans plus.
Pour tout le reste, les personnages se valent, comme Erika par exemple (Lena
Endre/Robin Wright). Un détail idiot pour finir : dans la version suédoise
Wennerström est chauve alors que dans la version US il a une sacrée touffe…
Le reste : Au niveau de l’ambiance globale, les deux
versions diffèrent sensiblement. La version suédoise est dans l’ensemble plutôt
sobre malgré une belle photographie, la version US est un peu plus personnelle,
plus « froide » (les suédois trouveront peut-être qu’on se moque sans
vergogne de leur pays, il est d’ailleurs très amusant de voir Daniel Craig se
les cailler menu), bref plus dans l’esprit de Fincher. En ce qui concerne la
dynamique de l’ensemble, les deux versions se valent, de même que les décors
(forcément…). La version US semble plus moderne mais la suédoise l’était déjà à
vrai dire. D’ailleurs, si les deux films sont bien g33k avec leurs macbooks de
partout, c’est finalement la version suédoise qui est la plus « branchée »
et c’est plutôt étonnant. Reste quelques petites différences, notamment dans le
traitement des flashbacks et des retours sur les années 60. La version US
choisit de retranscrire de nombreuses scènes du passé, alors que la version
suédoise se cantonne à l’essentiel. Du coup la version suédoise joue plus sur
la « nostalgie » et met bien en évidence les documents qu’épluche
Blomqvist avec son fameux « mur », qui est bien plus important dans
la version suédoise et la réalisation joue un max avec ça. L’autre différence
notable vient des scènes « hardcore » avec Lisbeth et son tuteur
détraqué du gland. Ces scènes sont beaucoup plus explicites et rentre-dedans
(dans tous les sens du terme) dans la version US, même si la version longue du
portage suédois en rajoute un peu notamment au niveau des dialogues crus. Bref
pour les âmes sensibles il est plus conseillé de se pencher sur la version
courte concoctée par les suédois…
Verdict ? : Eh bien il va être dur de donner un
gagnant ! Avant toute chose je tiens à dire que les deux versions sont de
qualité. L’histoire est peut-être plus fluide dans la version US et parfois un
peu confuse dans la version suédoise, et il est difficile de comparer de
manière trop brute car les deux versions ont leur scénario propre qui utilise
des circonvolutions différentes. Et forcément, quand on voit une version avant
l’autre (dans mon cas, la version US en premier), ça altère le jugement. Chaque
version a ses qualités et ses défauts par rapport à l’autre et au final ça s’équilibre.
Donc je ne peux pas faire autrement que de décréter match nul. David Fincher
adapte ce premier volet de Millennium avec brio, mais a peut-être changé trop
de choses et « américanise » un peu le propos. La version suédoise
est très bien à la base, mais ne va pas chercher très loin au final. L’important
reste donc l’histoire de base, qui est passionnante et qui a, au final,
accouché de deux très bons films d’« enquête ». Je pense que c’est ce
qu’il faut retenir, mais à aucun moment le portage américain n’est scandaleux
(à moins d’être trop attaché au bouquin mais encore une fois je ne peux
absolument pas juger ce point) et n’est d’office inférieur à la version
suédoise par pur acquis de purisme. On verra ce que donneront les portages
américains des 2 bouquins suivants (si tant est qu’ils sont bien prévus…), et
de mon côté il faut déjà que je me fasse les versions suédoises pour tâter le
terrain. En attendant Millénnium : Les hommes qui n’aimaient pas les femmes a bénéficié de
deux adaptations tout à fait réussies et prenantes. Skål !
Verdict : Match nul
Pour conclure, la version US bénéficie tout de même de la
musique de Trent Reznor et Atticus Ross, même si les deux compères ont fait
mieux dans The Social Network. Mais le thème d’entrée est génial et les images
qui l’accompagnent également :
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