mardi 12 août 2014

Lucy

Chacun a ses petits plaisirs coupables en matière de cinéma. Certains ce sont les nanards de The Asylum, d’autres ce sont les films d’horreur cheap, certains les comédies romantiques américaines… Moi c’est les nanards Bessoniens. Réalisations, productions, tout y passe, la plupart du temps au fin fond des rediffusions d’une chaîne de la TNT. Je n’irai pas jusqu’à dire que j’apprécie ce que fait le bonhomme, à la rigueur Le Cinquième Élément voire Taxi 2 sont cultes mais c’est tout. Pour le reste, on connaît la chanson, des courses-poursuites, des bagnoles qui volent et qui finissent en mille morceaux sur le goudron, des fusillades, des méchants (asiatiques, du Moyen-Orient ou de l’Europe de l’Est) en costard, des chargeurs vidés à bout portant dans l’estomac, un peu de castagne, des héros sans charisme et des scénarios compris des seuls scénaristes. De tous ces points de vue des films comme Taken (limite amoral) et From Paris With Love (complètement crétin et bourrin) sont de grandes réussites de Besson. Mais alors qu’on parle d’un reboot du Transporteur malgré la série TV (assez hétérogène), voilà que Luc Besson revient à la réalisation pour un film plus réfléchi, moins rentre-dedans, plus raffiné, s’inscrivant clairement dans la science-fiction. Bien que survendu par les médias français, Lucy promettait beaucoup, avec une nouvelle occasion de mettre Scarlett Johansson au sein d’un pitch intéressant, basé sur le fameux mythe de la non-utilisation de la totalité de notre cerveau. D’emblée on pensera à l’excellent Limitless, on frôle même la repompe mais on pense bien que Luc Besson n’aura pas le même style que Neil Burger. De belles promesses pour une Bessonerie pas trop Bessonienne, des belles promesses qui vont, je donne déjà la couleur, hélas s’envoler au fur et à mesure que se déroule l’heure et demie de ce décevant Lucy.

Lucy (Scarlett Johansson), une étudiante un peu à l’Ouest, est à Taïwan avec son petit ami Richard (Pilou Asbaek), qui non sans une certaine insistance, lui confie une mission légèrement périlleuse : remettre, à la réception d’un hôtel, une mallette au contenu inconnu à un certain Monsieur Jang (Choi Min-Sik). Lucy se retrouve alors malgré elle au cœur d’un trafic de drogue : un paquet d’une étrange poudre bleue lui est implanté dans le ventre à son insu, et avec 3 autres garçons pris au piège, elle va devoir faire la mule. Se retrouvant en prison sur le chemin de l’aéroport, elle va être violentée par ses geôliers. La drogue bleue va alors se déverser dans son corps, et va produire immédiatement ses effets : Lucy est en effet capable d’accéder à des parties inutilisées de son cerveau, voyant ses facultés se décupler. Elle parvient alors à s’échapper, et va solliciter l’aide du Pr. Norman (Morgan Freeman) pour comprendre ce qu’il lui arrive ; ainsi que le Capitaine Del Rio (Amr Waked) de la brigade des stups française pour retrouver les 3 autres mules. Mais Jang et ses dangereux sbires coréens sont bien décidés à reprendre leur bien et ce par tous les moyens…


Après Michael Bay revisite l’histoire, voici Luc Besson qui revisite la Science. C’est la chose principale que je retiendrai de Lucy. C’est certes réducteur, aussi passons sur les points positifs principaux, à savoir que l’ensemble est bien fait, dynamique, avec un certain parti pris visuel comme on en avait pas vu chez Lulu depuis longtemps, et que dans l’ensemble, c’était bien essayé et que ça part à la fois d’une bonne intention et d’une idée intéressante. Mais alors, justement, l’idée… On a juste l’impression que Besson a trouvé le sujet du cerveau cool et a brodé une histoire dessus. Et quand on sait le traitement que Besson réserve à ses scénarios… A la limite, que ses incohérences et ses trous s’appliquent à une intrigue policière, passe encore, on commence à en avoir l’habitude. Mais quand ça s’applique à une intrigue scientifique, tout de suite, ça ne va pas être possible. On ne voit pas où Lucy veut en venir. Il n’y a pas de base, pas de but, pas de morale, peu de liant. Une mélasse informe à base faussement scientifique. Le film égrène ses théories fantaisistes sur le temps et la transmission du savoir, mais le tout n’a ni queue ni tête, tergiverse pas mal pour en arriver à une fin en queue de poisson, à la fois trop simple et trop ouverte, qui ne conclut rien et laisse d’ailleurs un grand froid, un grand vide, une impression d’inachevé voire de gâchis, pour un film qui n’est pas allé au bout de son sujet, ou plutôt qui croit qu’il y est allé. On ne sait pas ce qu'il faut comprendre, en fait. Mais comme d’habitude avec Besson, ça semble clair dans sa tête, moins dans celle des spectateurs… J’ai vu cité par des confrères critiqueurs les noms de Matrix et Jean-Claude Van Damme. On semble être en plein dedans. En plus digeste et moins imagé certes, mais le résultat est au final le même. C’est moyennement bien raconté et surtout bien peu intéressant tant le sujet développé ne nourrit aucun but précis, essayant de nous faire réfléchir sans y arriver, c’est l’histoire d’une fille qui accède à tout son cerveau et découvre des choses. Voilà tout.

J’entends venir la défense. C’est de la fiction, donc il ne faut pas non plus s’attendre au développement d’une thèse scientifique crédible et vraisemblable, mais prendre du bon temps avec Luc Besson. Je reviendrai sur le second point plus tard, mais pour ce qui est du premier, j’ai envie de dire « certes ». Les développements du genre philosophique ne m’enchantent guère en général, mais admettons le parti pris qui demeure cohérent avec l’imagerie du film, qui aurait pu être servi par une morale plus claire. Mais l’ensemble est tout de même plus que fantaisiste. Alors avoir le contrôle sur plus de parties de son cerveau permettrait de, trois exemples choisis : - contrôler objets et personnes à distance - capter une conversation téléphonique précise à des centaines de mètres et au milieu de dizaines d’autres - et remonter le temps des millions d’années en arrière ? Mouais. Encore les capacités plus terre-à-terre que Lucy acquiert au début (réflexes et capacité accrue de réflexion, grande précision, assimilation rapide d’une grande quantité de données, hypermnésie, accès à tous les souvenirs) peuvent paraître crédibles, le reste l’est beaucoup moins surtout qu’on ne s’embarrasse pas de justifications passé un certain % de colonisation du cerveau (ou des justifications WTF, genre l'histoire du noyau... les biologistes cellulaires s'arrachent les cheveux). Au lieu de terminer sur les visées philosophiques mêlant temps et connaissance, il aurait été nettement plus intéressant de s’attarder sur les capacités physiques et psychiques de Lucy, ce qui au final nous aurait donné un excellent film d’action bardé de science-fiction. De ce point de vue Limitless bat Lucy par K.O., en exploitant bien plus le potentiel de surhumain, qui pour Lucy est vite relégué au second plan pour laisser place à un discours plus réfléchi et plus ouvert mais passablement pompeux et particulièrement inutile, surtout quand le film mélange toutes les composantes et finit par souffrir de gros trous (mais il lui arrive quoi exactement après la scène des toilettes de l’avion ??).


J’en reviens au point du plaisir pris avec la production Besson, plaisir souvent primaire soit dit en passant, mais qui parfois fait son effet. Comme je l’ai dit, Lucy exploite bien peu son potentiel d’action malgré les nombreuses possibilités qui s’ouvraient à lui. Bon cela reste du Besson, alors nous aurons le droit à 3-4 fusillades plus ou moins jouissives, une grosse scène de poursuite (qui semble hors-sujet, juste placée pour qu’on puisse dire qu’on regarde du Besson…), des flinguages bien violents avec des coréens en costard jusqu’au-boutistes, mais le tout est surtout placé dans la partie centrale du film, qui en est de loin son meilleur moment (lorsque Lucy acquiert ses capacités et jusqu’à ce qu’elle rencontre Norman). Après, c’est le fameux blabla qui flingue toutes les bonnes intentions du film. Avant, hélas, ça ne va pas non plus. La mise en place du film est bien trop lente, surtout quand le film ne dure qu’une heure et demie, résultat les longueurs grignotent l’histoire et on en arrive à cette fin expéditive qui provoque comme seule réaction un « heu » (je n’ai jamais entendu pareil blanc à la fin d’un film dans une salle de cinéma). Lucy souffre donc d’un faux rythme évident, le côté poussif du début finit par livrer une partie qui s’enchaîne trop vite et ne laisse pas de place à des développements qui auraient pu rendre le film plus prenant. Il y avait nettement mieux à faire dans la globalité et Besson, en voulant faire quelque chose de plus réfléchi, finit par passer à côté du potentiel de son sujet qui aurait gagné à être plus palpitant et à placer plus de capacités divertissantes de Lucy, bref plus d’action. Un comble !

Le casting parvient toutefois à relever l’ensemble, même si le pauvre Morgan Freeman semble condamné à ne jouer que des rôles impersonnels de scientifique jusqu’à la fin de sa vie (on a l’impression de revoir son personnage dans Transcendence voir Lucius Fox…). Scarlett Johansson est en réussite, ce qui n’est pourtant pas évident : passé le début du film où elle joue très bien le rôle de pleurnicheuse paniquée en mode « je vous en supplie », son jeu est ensuite très, très monolithique. Mais cela va très bien avec le personnage de Lucy qui finit par perdre ses émotions, et le personnage est finalement très prenant, devant beaucoup au visage délibérément figé de l’actrice. Tout le film est basé là-dessus et il n’y aura donc pas beaucoup de place pour les personnages secondaires : Amr Waked a la bonne tête de flic Bessonien renfermé et incrédule, il s’intègre bien au film mais lui aussi aurait mérité plus de profondeur et d’exploitation. Choi Min-Sik lui est excellent de bout en bout mais paraît tellement cliché pour un film de Besson… Et en aparté, ça serait bien de nous sous-titrer le coréen, parce que tout le monde ne parle pas coréen (au début du film, la non-traduction se tient, mais après… mon cinéma n’avait pas retrouvé le fichier .srt ?).



Luc Besson voulait se prendre pour Neil Burger, ce qui aurait été salutaire et nous aurait donné un Limitless plus franc du collier et moins psychédélique (et avec Scarlett Johansson à la place de Bradley Cooper). Mais non, il s’est pris pour Stanley Kubrick (sans les délires abstraits, encore heureux, mais j’ai eu peur sur la fin), et ça ne marche pas le moins du monde. Ça partait d’une base cool, mais justement Besson n’a trouvé que la base cool, et n’a pas su l’exploiter pour en faire un bon blockbuster d’anticipation ou même de la Science-Fiction grand public. Lucy est donc une grande déception et un gâchis. Là où on pouvait s’attendre à un film mettant en scène une femme droguée qui règle ses comptes avec ses étonnantes capacités, on se retrouve avec quelque chose qui amène à la réflexion mais qui se retrouve à côté de la plaque, prenant des largesses avec la Science au passage, le tout sans objectif et sans ambition. Luc Besson a pris des cours de neurobiologie et voilà ce que ça a donné. Tout ceci est donc fort dommage car par moments, Lucy laisse entrevoir le potentiel qu’il avait. Si le cerveau de Lucy est colonisé à 100% à la fin, ce film laisse encore de larges trous, qui étaient autant de possibilités pour faire quelque chose d’explosif. Besson aurait mieux fait de rester dans l’action totalement débridée, lorsque ses personnages se lâchent l’efficacité est toujours au rendez-vous. Lorsque Lucy laisse donc clairement apparaître la patte Besson, ça fonctionne toujours, mais dès que le ton change l’échec est là, un échec qui aurait pu laisser la place à autre chose. C’était bien essayé mais au final, Lucy se révèle surtout être un beau ratage.
Note : 5/10