On le sait, la non-utilisation d’une partie de notre
cerveau, c’est qu’une légende, c’est scientifiquement inexact et impossible,
etc etc… Mais c’est un bon sujet de cinéma. Et logiquement, des cinéastes vont
s’en emparer. Le plus notable a été Luc Besson pour son Lucy. Enfin le plus
notable en termes de notoriété, parce qu’en termes de qualité… On ne peut pas
reprocher à Besson d’avoir eu un peu d’ambition mais le résultat était
autrement plus mitigé. De toute façon, Besson n’a pas été le premier. Le
premier, c’était Neil Burger et son Limitless. Enfin, le vrai premier, c’est
Alan Glynn, auteur du livre "The Dark Fields" sorti en 2001. Neil Burger et la
scénariste Leslie Dixon n’ont fait qu’adapter librement l’œuvre 10 ans plus
tard. 3 ans avant Lucy donc, et le moins qu’on puisse dire c’est que Limitless
a battu Lucy à plates coutures, Bradley Cooper met à genoux Scarlett Johansson
(enfin met à genoux… non, évacuez vos fantasmes salaces). Certes, le style n’est
pas tout à fait pareil. Limitless est plus terre-à-terre, plus Thriller
légèrement Science-Fiction que Lucy qui lui est plutôt Science-Fiction
légèrement Action et beaucoup élucubrations mystiques. Mais alors que Lucy
aurait pu être efficace à sa manière, Limitless a finalement eu les meilleures
idées, en plus d’autres qualités au sein d’un film finalement un peu méconnu.
Eddie Morra (Bradley Cooper), à l’instar de Michaël Youn
dans Incontrôlable, est un écrivain en panne d’inspiration qui se laisse aller.
Il n’arrive pas à écrire la moindre ligne du nouveau roman qu’il a promis à sa
maison d’édition et pour couronner le tout, sa petite amie Lindy (Abbie
Cornish) décide de le quitter. C’est alors qu’il recroise par hasard son
ex-beau-frère, Vernon (Johnny Whitworth). Ce dernier lui laisse un cachet d’un
médicament en cours d’homologation, le NZT, censé donner accès à plus de
parties du cerveau humain. Eddie le teste et son quotidien s’en retrouve
bouleversé : il met de l’ordre chez lui et écrit son nouveau livre en un
temps record. Après avoir mis la main sur plus de doses de NZT, il s’en sert
pour changer de vie, en devenant un génie de Wall Street, travaillant aux côtés
de Carl Van Loon (Robert De Niro). Mais Eddie devient vite accro au NZT, qui
provoque des effets secondaires et est aussi cible de mystérieuses et
dangereuses convoitises…
Neil Burger est surtout connu du grand public pour avoir
réalisé le premier opus de Divergente (que je n’ai pas vu - la seule saga
dystopienne pour ados que je n’ai jamais osé aborder… - donc je n’en dirai pas
un mot), depuis il n’a plus rien fait sur le grand écran d’ailleurs (!). Avant
ça, il avait signé L’Illusioniste (avec Edward Norton) et The Lucky Ones, que
je n’ai vus non plus. Mais avec Limitless, le réalisateur américain démontrait
un énorme potentiel. Visuellement rythmé et épatant, avec des choix judicieux
de lumières et couleurs (quand Eddie prend du NZT, son monde passe d’un mode
sombre à totalement éclatant) et des passages psychédéliques assez monumentaux
(les effets « tunnel » saisissants) au milieu d'autres enchaînements de folie, Limitless s’offre un visuel
percutant, dont le montage subtil nous scotche au Fauteuil Noir dès les
premières minutes. Ceci mène à la perfection un film quasi-comique sur le
début, haletant et prenant ensuite, assumant à fond son côté Thriller
mi-scientifique fait de péripéties diverses, de remises en question et de
rebondissements plus ou moins étonnants. Si Lucy avait aussi un parti pris
visuel fort - un des rares de Luc Besson -, Limitless lui damait déjà le pion
avec son visuel entraînant et mordant, qui énergise un film intelligent et
original, sans temps morts, exploitant bien son postulat de base, sans partir
dans des élucubrations hors de propos, restant dans le domaine des capacités
brutes que l’on pourrait acquérir si on pouvait « coloniser notre cerveau ».
Pas de contrôle de corps à distance, de changement de couleur de cheveux, de
remontées dans le temps, juste une intelligence décuplée, un accès total à la
mémoire, des capacités accrues d’apprentissage et d’assimilation, de la pure
performance mentale et physique.
Bon, il est vrai que Limitless aurait pu être encore plus
ambitieux, et si Neil Burger pose tout son talent pour filmer les aventures
d’Eddie Morra, le scénario reste parfois limité et souffre même de petits
trous, rebondissements sortis du chapeau, choses inachevées ou autres facilités, pour un ensemble qui aurait peut-être pu être plus tordu et sombre par moments.
Mais les bonnes idées sont légion, sans jamais partir dans le nawak malgré des
choses osées, et surtout le développement du film est passionnant, prenant le
temps de poser l’évolution du personnage campé par Bradley Cooper, même si
forcément tout finit par s’accélérer à l’image des grandes capacités d’assimilation
d’Eddie. Bradley Cooper y fait du Bradley Cooper sans grands chichis, avec sa
prestance et son sourire de beau-gosse à pub pour parfums et glaces, mais il s’est
bien glissé dans la peau de ce personnage paumé au début, sûr de lui à la fin,
malgré les difficultés des effets secondaires du NZT. Abbie Cornish fait du
Abbie Cornish (c’est-à-dire ce sempiternel rôle de « petite amie »
sans saveur même si elle aura aussi son moment de gloire), Robert De Niro du
Robert De Niro (et c’est très bien pour camper un requin de la finance
impitoyable), bref Limitless ne dépasse pas les limites du potentiel des
acteurs mais ils font le boulot. A noter aussi la prestation de Andrew Howard
en mafieux russe savoureux, qui rajoute de la couleur à ce film qui joue sur
pas mal de tableaux, entre tension latente, moments mystiques, et comique de
situation. Inclassable car ni 100% Thriller ni vraiment Science-Fiction (et pas
du tout Anticipation à vrai dire, rien de bien futuriste là-dedans), Limitless
s’en sort aisément avec les honneurs avec son côté rythmé et percutant et son
histoire originale qui est source de facéties qui font mouche.
Du reste, c’est de l’ordre du subjectif, en ce qui me
concerne j’avais accroché à ce film dès son premier visionnage, suffisamment
pour acquérir le Blu-Ray alors qu’encore une fois il passe souvent à la téloche
(le soir où j’écris ces lignes), mais certains passages sont tellement kiffants
qu’il y a un sacré goût de reviens-y… et le potentiel de ce genre de film
semble de toute manière infini. Un potentiel qui sera exprimé sur la série TV
qui devrait bientôt passer sur les écrans français (ouais, moi les séries j’attends
qu’elles passent à la téloche), où Bradley Cooper reprendra le rôle qu’il tient
en fin de film d’ailleurs. Un potentiel qui s’arrêtera pourtant bien vite, la
série ayant semble-t-il déjà été annulée après une seule saison (l’univers des
séries étant aussi impitoyable que le personnage de Carl Van Loon…). Un
potentiel parfaitement mis en image par un Neil Burger très inspiré qui s’est
lâché et apporte une plus-value non négligeable à ce film visuellement prenant,
espérons que le réalisateur n’ait pas été bouffé par les gros studios et qu’on
le reverra bientôt avec un visuel similaire. Un potentiel plus terre-à-terre
qui a engendré un film bien plus efficace que l’étouffant Lucy, qui reste sur
de bonnes bases bien exploitées plutôt que de partir dans des délires
quasi-métaphysiques. Un potentiel exprimé avec des qualités et des défauts, qui
font que Limitless n’atteint pas la perfection, mais arriver à 100% de son
potentiel comme le personnage de Lucy, ça donnait n’importe quoi… Félicitons
Limitless qui a su faire les choses vite et bien, pour au bout comme le dit
justement la critique de Télé-Loisirs, « un bon petit film bien rythmé et
bien écrit ».
Note : 8/10
A noter que le Blu-Ray propose en bonus une fin alternative, un peu plus incertaine et pessimiste.