Chacun a ses petits plaisirs coupables en matière de
cinéma. Certains ce sont les nanards de The Asylum, d’autres ce sont les films
d’horreur cheap, certains les comédies romantiques américaines… Moi c’est les
nanards Bessoniens. Réalisations, productions, tout y passe, la plupart du
temps au fin fond des rediffusions d’une chaîne de la TNT. Je n’irai pas jusqu’à
dire que j’apprécie ce que fait le bonhomme, à la rigueur Le Cinquième Élément voire Taxi
2 sont cultes mais c’est tout. Pour le reste, on connaît la chanson, des
courses-poursuites, des bagnoles qui volent et qui finissent en mille morceaux
sur le goudron, des fusillades, des méchants (asiatiques, du Moyen-Orient ou de
l’Europe de l’Est) en costard, des chargeurs vidés à bout portant dans l’estomac,
un peu de castagne, des héros sans charisme et des scénarios compris des seuls
scénaristes. De tous ces points de vue des films comme Taken (limite amoral) et From
Paris With Love (complètement crétin et bourrin) sont de grandes réussites
de Besson. Mais alors qu’on parle d’un reboot du Transporteur malgré la série TV (assez hétérogène), voilà que Luc Besson revient à la réalisation pour
un film plus réfléchi, moins rentre-dedans, plus raffiné, s’inscrivant
clairement dans la science-fiction. Bien que survendu par les médias français, Lucy promettait beaucoup, avec une
nouvelle occasion de mettre Scarlett Johansson
au sein d’un pitch intéressant, basé sur le fameux mythe de la non-utilisation
de la totalité de notre cerveau. D’emblée on pensera à l’excellent Limitless, on frôle même la repompe
mais on pense bien que Luc Besson n’aura
pas le même style que Neil Burger. De
belles promesses pour une Bessonerie pas trop Bessonienne, des belles promesses
qui vont, je donne déjà la couleur, hélas s’envoler au fur et à mesure que se
déroule l’heure et demie de ce décevant Lucy.
Lucy (Scarlett
Johansson), une étudiante un peu à l’Ouest, est à Taïwan avec son petit ami
Richard (Pilou Asbaek), qui non sans
une certaine insistance, lui confie une mission légèrement périlleuse :
remettre, à la réception d’un hôtel, une mallette au contenu inconnu à un
certain Monsieur Jang (Choi Min-Sik).
Lucy se retrouve alors malgré elle au cœur d’un trafic de drogue : un
paquet d’une étrange poudre bleue lui est implanté dans le ventre à son insu,
et avec 3 autres garçons pris au piège, elle va devoir faire la mule. Se
retrouvant en prison sur le chemin de l’aéroport, elle va être violentée par
ses geôliers. La drogue bleue va alors se déverser dans son corps, et va
produire immédiatement ses effets : Lucy est en effet capable d’accéder à
des parties inutilisées de son cerveau, voyant ses facultés se décupler. Elle
parvient alors à s’échapper, et va solliciter l’aide du Pr. Norman (Morgan Freeman) pour comprendre ce qu’il
lui arrive ; ainsi que le Capitaine Del Rio (Amr Waked) de la brigade des stups française pour retrouver les 3
autres mules. Mais Jang et ses dangereux sbires coréens sont bien décidés à
reprendre leur bien et ce par tous les moyens…
Après Michael Bay
revisite l’histoire, voici Luc Besson
qui revisite la Science. C’est la chose principale que je retiendrai de Lucy. C’est certes réducteur, aussi
passons sur les points positifs principaux, à savoir que l’ensemble est bien
fait, dynamique, avec un certain parti pris visuel comme on en avait pas vu
chez Lulu depuis longtemps, et que dans l’ensemble, c’était bien essayé et que
ça part à la fois d’une bonne intention et d’une idée intéressante. Mais alors,
justement, l’idée… On a juste l’impression que Besson a trouvé le sujet du
cerveau cool et a brodé une histoire dessus. Et quand on sait le traitement que
Besson réserve à ses scénarios… A la limite, que ses incohérences et ses trous
s’appliquent à une intrigue policière, passe encore, on commence à en avoir l’habitude.
Mais quand ça s’applique à une intrigue scientifique, tout de suite, ça ne va
pas être possible. On ne voit pas où Lucy
veut en venir. Il n’y a pas de base, pas de but, pas de morale, peu de liant. Une
mélasse informe à base faussement scientifique. Le film égrène ses théories
fantaisistes sur le temps et la transmission du savoir, mais le tout n’a ni
queue ni tête, tergiverse pas mal pour en arriver à une fin en queue de
poisson, à la fois trop simple et trop ouverte, qui ne conclut rien et laisse d’ailleurs
un grand froid, un grand vide, une impression d’inachevé voire de gâchis, pour
un film qui n’est pas allé au bout de son sujet, ou plutôt qui croit qu’il y
est allé. On ne sait pas ce qu'il faut comprendre, en fait. Mais comme d’habitude avec Besson, ça semble clair dans sa tête,
moins dans celle des spectateurs… J’ai vu cité par des confrères critiqueurs
les noms de Matrix et Jean-Claude Van Damme. On semble être en
plein dedans. En plus digeste et moins imagé certes, mais le résultat est au
final le même. C’est moyennement bien raconté et surtout bien peu intéressant
tant le sujet développé ne nourrit aucun but précis, essayant de nous faire
réfléchir sans y arriver, c’est l’histoire d’une fille qui accède à tout son
cerveau et découvre des choses. Voilà tout.
J’entends venir la défense. C’est de la fiction, donc il
ne faut pas non plus s’attendre au développement d’une thèse scientifique
crédible et vraisemblable, mais prendre du bon temps avec Luc Besson. Je reviendrai sur le second point plus tard, mais pour
ce qui est du premier, j’ai envie de dire « certes ». Les
développements du genre philosophique ne m’enchantent guère en général, mais
admettons le parti pris qui demeure cohérent avec l’imagerie du film, qui
aurait pu être servi par une morale plus claire. Mais l’ensemble est tout de
même plus que fantaisiste. Alors avoir le contrôle sur plus de parties de son
cerveau permettrait de, trois exemples choisis : - contrôler objets et
personnes à distance - capter une conversation téléphonique précise à des
centaines de mètres et au milieu de dizaines d’autres - et remonter le temps
des millions d’années en arrière ? Mouais. Encore les capacités plus
terre-à-terre que Lucy acquiert au début (réflexes et capacité accrue de réflexion,
grande précision, assimilation rapide d’une grande quantité de données,
hypermnésie, accès à tous les souvenirs) peuvent paraître crédibles, le reste l’est
beaucoup moins surtout qu’on ne s’embarrasse pas de justifications passé un certain
% de colonisation du cerveau (ou des justifications WTF, genre l'histoire du noyau... les biologistes cellulaires s'arrachent les cheveux). Au lieu de terminer sur les visées philosophiques
mêlant temps et connaissance, il aurait été nettement plus intéressant de s’attarder
sur les capacités physiques et psychiques de Lucy, ce qui au final nous aurait
donné un excellent film d’action bardé de science-fiction. De ce point de vue Limitless bat Lucy par K.O., en exploitant bien plus le potentiel de surhumain,
qui pour Lucy est vite relégué au
second plan pour laisser place à un discours plus réfléchi et plus ouvert mais
passablement pompeux et particulièrement inutile, surtout quand le film mélange
toutes les composantes et finit par souffrir de gros trous (mais il lui arrive
quoi exactement après la scène des toilettes de l’avion ??).
J’en reviens au point du plaisir pris avec la production
Besson, plaisir souvent primaire soit dit en passant, mais qui parfois fait son
effet. Comme je l’ai dit, Lucy
exploite bien peu son potentiel d’action malgré les nombreuses possibilités qui
s’ouvraient à lui. Bon cela reste du Besson, alors nous aurons le droit à 3-4
fusillades plus ou moins jouissives, une grosse scène de poursuite (qui semble
hors-sujet, juste placée pour qu’on puisse dire qu’on regarde du Besson…), des
flinguages bien violents avec des coréens en costard jusqu’au-boutistes, mais
le tout est surtout placé dans la partie centrale du film, qui en est de loin
son meilleur moment (lorsque Lucy acquiert ses capacités et jusqu’à ce qu’elle
rencontre Norman). Après, c’est le fameux blabla qui flingue toutes les bonnes
intentions du film. Avant, hélas, ça ne va pas non plus. La mise en place du
film est bien trop lente, surtout quand le film ne dure qu’une heure et demie,
résultat les longueurs grignotent l’histoire et on en arrive à cette fin
expéditive qui provoque comme seule réaction un « heu » (je n’ai
jamais entendu pareil blanc à la fin d’un film dans une salle de cinéma). Lucy souffre donc d’un faux rythme
évident, le côté poussif du début finit par livrer une partie qui s’enchaîne
trop vite et ne laisse pas de place à des développements qui auraient pu rendre
le film plus prenant. Il y avait nettement mieux à faire dans la globalité et
Besson, en voulant faire quelque chose de plus réfléchi, finit par passer à
côté du potentiel de son sujet qui aurait gagné à être plus palpitant et à
placer plus de capacités divertissantes de Lucy, bref plus d’action. Un comble !
Le casting parvient toutefois à relever l’ensemble, même
si le pauvre Morgan Freeman semble
condamné à ne jouer que des rôles impersonnels de scientifique jusqu’à la fin
de sa vie (on a l’impression de revoir son personnage dans Transcendence voir Lucius Fox…). Scarlett Johansson est en réussite, ce qui n’est pourtant pas
évident : passé le début du film où elle joue très bien le rôle de
pleurnicheuse paniquée en mode « je vous en supplie », son jeu est
ensuite très, très monolithique. Mais cela va très bien avec le personnage de
Lucy qui finit par perdre ses émotions, et le personnage est finalement très
prenant, devant beaucoup au visage délibérément figé de l’actrice. Tout le film
est basé là-dessus et il n’y aura donc pas beaucoup de place pour les
personnages secondaires : Amr Waked a
la bonne tête de flic Bessonien renfermé et incrédule, il s’intègre bien au
film mais lui aussi aurait mérité plus de profondeur et d’exploitation. Choi Min-Sik lui est excellent de bout
en bout mais paraît tellement cliché pour un film de Besson… Et en aparté, ça
serait bien de nous sous-titrer le coréen, parce que tout le monde ne parle pas
coréen (au début du film, la non-traduction se tient, mais après… mon cinéma n’avait
pas retrouvé le fichier .srt ?).
Luc Besson voulait
se prendre pour Neil Burger, ce qui
aurait été salutaire et nous aurait donné un Limitless plus franc du collier et moins psychédélique (et avec Scarlett Johansson à la place de Bradley Cooper). Mais non, il s’est pris
pour Stanley Kubrick (sans les
délires abstraits, encore heureux, mais j’ai eu peur sur la fin), et ça ne
marche pas le moins du monde. Ça partait d’une base cool, mais justement Besson
n’a trouvé que la base cool, et n’a pas su l’exploiter pour en faire un bon
blockbuster d’anticipation ou même de la Science-Fiction grand public. Lucy est donc une grande déception et
un gâchis. Là où on pouvait s’attendre à un film mettant en scène une femme
droguée qui règle ses comptes avec ses étonnantes capacités, on se retrouve
avec quelque chose qui amène à la réflexion mais qui se retrouve à côté de la
plaque, prenant des largesses avec la Science au passage, le tout sans objectif
et sans ambition. Luc Besson a pris
des cours de neurobiologie et voilà ce que ça a donné. Tout ceci est donc fort
dommage car par moments, Lucy laisse
entrevoir le potentiel qu’il avait. Si le cerveau de Lucy est colonisé à 100% à
la fin, ce film laisse encore de larges trous, qui étaient autant de
possibilités pour faire quelque chose d’explosif. Besson aurait mieux fait de
rester dans l’action totalement débridée, lorsque ses personnages se lâchent l’efficacité
est toujours au rendez-vous. Lorsque Lucy
laisse donc clairement apparaître la patte Besson, ça fonctionne toujours, mais
dès que le ton change l’échec est là, un échec qui aurait pu laisser la place à
autre chose. C’était bien essayé mais au final, Lucy se révèle surtout être un beau ratage.
Note : 5/10