mardi 28 mai 2013

Les Profs


Si j’ai créé ce blog dans le but de faire de la critique cinéma purgée de toute forme de purisme ou d’exigences disproportionnées faisant parfois fi des particularités des genres (même les moins appréciables), il y a un truc avec lequel je ne rigole pas ce sont les adaptations de bédé. L’exercice est casse-gueule surtout avec la création francophone. Astérix & Obélix en ont fait les frais : après un Astérix & Obélix Mission Cléopâtre ô combien jouissif, Astérix & Obélix aux Jeux Olympiques et Astérix & Obélix Au Service de Sa Majesté ont été des purges mémorables, surtout le second (mais quel massacre !). J’ai renoncé à aller voir Boule & Bill plus tôt cette année : trop enfantin et le casting ne me plaisait pas du tout. Par contre, voilà quelque chose de plus intéressant : Les Profs. Je suis la BD depuis le premier tome et je me demandais justement quand cette bédé à potentiel allait être portée sur l’écran, pour enfin voir les personnages prendre vie. Cette BD est tout à fait excellente avec un travail de fond qui correspond exactement au train-train quotidien des profs avec un humour finalement très référencé et spécialisé (je connais un paquet de profs qui peuvent en témoigner). Bref, il y avait de quoi faire avec des personnages forts, et Pierre-François Martin-Laval a toutes les cartes en main pour nous faire quelque chose qui fonctionne un minimum.

Hélas, d’emblée l’emballage de l’ensemble est déconcertant. De par son scénario bien spécifique, qui ne correspond pas à la réalité dans laquelle s’ancre la BD et part d’ores et déjà dans une direction incongrue et délirante. Alors que les taux de réussite du Bac sont excellents (c’est Claire Chazal en personne qui le dit au début du film), le pourcentage du lycée Jules Ferry est lui catastrophique, faisant de lui le pire lycée de France. L’inspecteur d’académie (Dominique Pinon) sur les conseils de son adjoint (François Morel) décide alors de soumettre le lycée à un traitement fantaisiste : s’il y a là-bas les pires élèves, envoyons-leur les pires profs et « moins par moins, ça fait plus ». Le lycée doit donc obtenir 50% de réussite à la fin de l’année scolaire, sinon il sera fermé. Au grand dam du proviseur (Philippe Duclos), débarque alors une fine équipe : Antoine Polochon (Pierre-François Martin-Laval), prof d’histoire die-hard fan de Napoléon qui n’a jamais pu avoir son CAPES ; Gladys (Isabelle Nanty), prof d’anglais tyrannique adepte du lancer de craies ; Maurice (Raymond Bouchard), prof de philo à la doctrine incompréhensible ; Amina (Stéfi Celma), prof de français aux formes affriolantes qui perturbent les élèves (masculins) ; Eric (Arnaud Ducret), prof d’EPS écervelé aux méthodes peu conventionnelles ; Albert (Fred Tousch), prof de chimie pour le moins « explosif » ; et enfin Serge (Christian Clavier), prof de… on sait pas trop quoi (mais on peut suggérer sa matière au fil du film, je ne le dévoile pas car pour les fans de la BD c’est un serpent de mer !) glandeur à l’extrême. Ce septette va donc avoir pour mission de faire réussir la classe de terminale du petit lycée, qui a pour star l’énième redoublant Boulard (Kev Adams)… et leurs méthodes vont devoir s’adapter au fil de l’année scolaire alors que le proviseur et l’inspecteur adjoint ont d’autres intentions…


D’emblée, cela ne correspond pas franchement à l’esprit de la BD qui suit une équipe pédagogique somme toute « normale » (mais un brin farfelue comme de bien entendu) avec bon nombre de strips « en coulisses » plus qu’en classe, mais pour un film d’1h30 il fallait bien trouver une histoire. Autant dire que le scénario et ses « rebondissements » tient sur un demi ticket de ciné et n’est prétexte qu’à une accumulation de gags, même si nous ne sommes pas dans une suite de strips mais bien un film à part entière. Première chose qui tranche par rapport aux personnages de la BD : ils ne sont pas tous franchement ressemblants. Pourquoi avoir pris le temps de grimer Isabelle Nanty en Gladys (et très bien d’ailleurs) si c’est pour occulter tout le reste ? Hormis Maurice et Amina qui ressemblent physiquement au personnage de BD qu’ils campent à la base (ainsi que Boulard avec sa chemise et sa casquette), les autres profs ne ressemblent ni de près ni de loin à ceux de la BD. Eric le prof d’EPS est blond dans la BD, Arnaud Ducret est brun. Pareil pour Polochon (bon, il faut dire qu’il aurait été difficile de faire en vrai sa coupe de cheveux improbable), et Boulard aussi d’ailleurs. Le prof de chimie n’a pas les cheveux longs. Serge n’a pas du tout ce style « baba-cool » que possède Christian Clavier. D’ailleurs dans la BD le personnage s’appelle textuellement « Tirocul », pas « Cutiro » (ils ont trouvé ça trop vulgaire ?). Même les personnages secondaires, apparaissant également dans la BD, ne correspondent pas à leurs versions papier. Pas de CPE à grandes oreilles, pas de prof d’espagnol maniaco-dépressive, pas de prof d’allemand rousse (bien qu’également courtisée par Polochon tout comme dans la BD), pas de concierge méchant, seul Paul le syndicaliste correspond à peu près au personnage de BD (hormis son physique, encore). Et le proviseur du film est bien plus vieux que celui de la BD… tandis que l’« inspecteur adjoint » n’y est tout simplement pas. Ajoutons à cela quelques personnages absents (le prof de français vieux jeu, le prof de géographie baroudeur, le surveillant glandeur, Nitchinsky, etc) et le fait que certains personnages n’ont pas du tout la même importance que ceux de la BD (le prof de chimie est très secondaire (même Serge l’est assez !) alors qu’on voit souvent la prof d’espagnol dans la BD), fait que Les Profs est finalement bien loin de l’univers de la BD dont il s’inspire (plus qu’il ne l’adapte en fin de compte).

Et tout ça pour quoi ? Une relecture de la galerie de personnages qui vire très vite à la caricature. C’est bien simple, tous les personnages sont totalement débiles (le summum étant Eric le prof d’EPS) alors que ce n’est absolument pas le cas dans la BD. Le ton est donc totalement différent. Maurice n’aligne pas des locutions incompréhensibles dans la BD, Eric est moins beauf et bien plus malin, Gladys ne lance pas de craies (elle hurle sur les élèves plutôt). Seul Polochon le stressé est ici le plus proche du personnage de la BD, en un peu plus con bien évidemment. Serge est propulsé au rang de star et ça fonctionne plutôt bien (sachant qu’encore une fois, le personnage est assez à part dans la BD). Amina n’a rien de spécial ni dans le film, ni dans la BD (donc ça reste cohérent finalement), et comme Albert le prof de chimie est tertiaire dans la BD ça en fait un personnage de film un peu « nouveau » (et il s’en sort bien avec un gag d’explosion hilarant, le meilleur du film). Les personnages sont donc clichesques et cabotins à l’extrême, le pire étant même François Morel qui campe un personnage absolument pas crédible. La crédibilité n’est de toute façon pas le maître mot du film, qui part dans le n’importe quoi avec des gags WTFesques (mention spéciale à la guerre des craies), faisant plus de Les Profs un dessin animé porté par de vrais acteurs qu’autre chose. Les gags virent assez vite au grotesque, et au final le film ne laisse apprécier qu’en switchant son cerveau sur « off », alors que la BD laissait plus de place à l’analyse. Le côté totalement débridé du film laisse finalement peu de place à un étalage de bons sentiments ou de morale à deux balles (même si le happy end prévisible en tient une petite couche), en revanche pour ce qui est des poncifs de films « collèges et lycées » ça y va à fond et tout y passe, surtout les scènes où les élèves sont mis en avant, contrairement à la BD où seuls les profs sont véritablement à l’honneur (d’où le nom de la BD, haha).

Donc au bilan, Serge (Christian Clavier), Maurice (Raymond Bouchard), Albert (Fred Tousch) et le proviseur étonnamment présent (Philippe Duclos) s’en tirent avec les honneurs, de même que Boulard (Kev Adams) qui est tout à fait supportable à vrai dire. Le reste, hormis deux belles plantes pour les plus jeunes (Joana Person alias Nectarine) et moins jeunes (Alice David, la prof d'allemand), ça ne vole pas très haut, et le film fait plus rire involontairement de par son côté exagéré plus que par les dialogues, même si un bon nombre de gags ou situations fonctionnent à merveille au sein d’un film tout de même assez rythmé et pétillant. Au final, je n’arrive même pas à me faire un avis définitif sur ce film. Dire que je suis déçu, oui et non car de toute façon il était difficile de prévoir une adaptation « brute » du format (et tiens, pas d’interludes « Shopping Prof » ? c’eût été une bonne idée), mais il y avait peut-être moyen de faire mieux et rien qu’au niveau des personnages, trop éloignés de leurs avatars BD, déjà. Un massacre de la BD ? Non car le scénario s’est finalement autorisé une réinterprétation de l’« histoire » qui demeure cohérente même si l’on peut déplorer le résultat, un peu « too extreme » et passablement caricatural. En tout cas, je trouve que ça trahit moins la BD que Astérix & Obélix : Au Service de Sa Majesté qui avait tout foutu en l’air, lourdeurs et ratés à l’appui. Disons que c’est très différent, sans être scandaleux, mais les véritables profs qui attendaient les nombreux clins d’œil de la BD en seront pour leurs frais (même si le film n’est pas « du côté des élèves » comme j’ai pu l’entendre). Au final l’intérêt principal est de voir les personnages prendre vie, tant pis pour l’esprit de la BD qui s’est perdu avec les caméras. Pierre-François Martin-Laval s’est offert une « adaptation » très personnelle qui nous donne une comédie explosive et volontairement rétrograde, et c’est à prendre ou à laisser. Au final ce film est plus à conseiller à ceux qui ne connaissent pas la BD, car le ton et les situations proposées tranchent sévèrement, mais hélas dans le genre « collèges et lycées » on est tout de même bien loin des références comme P.R.O.F.S. ou Les Sous-Doués, qui commencent à dater d’ailleurs. Un film marrant dans l’ensemble, qui part dans tous les sens avec un esprit presque absurde et WTF, mais sans plus et qui sonne surtout comme un gros délire inspiré d’une BD qu’une véritable volonté d’adaptation. Du coup on ne peut pas vraiment jeter la pierre à PEF pour ne pas avoir respecté point par point ce que propose la BD, mais bon… Les Profs ne restera pas dans les annales. J’espère juste qu’ils ne vont pas nous concocter une suite style « Les Profs en vacances », vacances qui est un sujet souvent abordé dans la BD, en général par le biais d’une suite de strips. Et comme le film a eu un succès inespéré au box-office…
Note : 6/10

2 commentaires:

  1. J'avoue avoir longuement hésité à aller le voir pour finalement ne pas y aller, mais ta chronique (bien écrite au demeurant, mais je ne peux en dire plus vu que je n'ai pas vu le film) me fait me demander: as-tu déjà vu les films Ducobu et si oui, qu'en as-tu pensé ?

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  2. Hélas non, je n'ai pas vu les Ducobu. Je connais quelques BD mais le cabotinage de Elie Semoun ne pas pas franchement donné envie d'aller les voir...

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